Petite chronique – Ni dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme

Louable intention que celle de ce documentaire qui retrace assez honnêtement l’histoire du mouvement anarchiste jusqu’à 1945. Jusqu’à 1945 ? Ben oui. Et hormis les quelques « coquilles », c’est bien ce découpage chronologique qui est le plus discutable. Le mouvement libertaire est-il tombé aux oubliettes par la suite ? Son histoire est-elle devenue alors négligeable ? Terminée ? Évidemment non.

Ce biais laisse une douloureuse impression. Car que voit-on durant deux heures ? Des martyrs, des cadavres, des vaincus. L’ambivalence anarchiste concernant la violence est bien réelle. Elle est en quelque sorte relativisée ou justifiée par le commentaire tout en étant, à l’inverse, mise en spectacle par les images. La Bande à Bonnot est traitée assez longuement. Largement plus partagé, l’immense effort antimilitariste d’avant 1914 est peu évoqué.

L’intérêt de ce découpage conventionnel est cependant de souligner à quel point les deux Guerres mondiales ont été des coups extrêmement rudes pour les anarchistes. Comme si l’énorme force révolutionnaire finissait par se muer en son contraire : le choc des nationalismes. Le film paraît poser la question suivante ; la faiblesse des anarchistes réside-t-elle dans leur difficulté à proposer une réponse intelligente à la violence que les pouvoirs opposent aux tentatives d’émancipation ?

Si on se réfère aux catégories établies par Gaetano Manfredonia, il semble assez manifeste que le syndicalisme-révolutionnaire et l’individualisme qui mettent l’accent sur le présent, l’expérience, l’éducation et l’émancipation ont été plus perspicaces que l’anarchisme insurrectionnel. Malheureusement ce sont les épisodes où la poudre parle qui marquent les mémoires pour tout le monde et les images de ce film l’attestent.

D’où une faille dans ce documentaire. Car après la Seconde guerre mondiale, les combats portés par les anarchistes se trouvent en partie accomplis ou tout au moins continuent avec une grande vigueur : antimilitarisme, libération des mœurs, égalité des sexes, abolition de la peine de mort, combat environnemental, conquêtes des droits sociaux, remise en question des pouvoirs, horizontalité, décolonisation etc. L’accumulation des tragédies passées – qu’on ne saurait bien sûr nier – laisse le goût âcre d’une histoire de vaincus au détriment d’une histoire du vécu.

On ne peut tangiblement porter au crédit des anarchistes toutes les avancées de l’après-guerre. Les organisations consciemment libertaires pèsent peu dans cette période face à l’hégémonie marxiste. Mais le vent libertaire ne souffle-t-il pas avec force sur le monde dans les années 1960 et 1970 ? Et 21 ans après 1968, l’effondrement du bloc soviétique ne vient-il pas affermir la critique anarchiste de ce système ?

Transmettre au grand public la compréhension de l’histoire du mouvement anarchiste n’est pas une mince affaire. Ce film apporte de la clarté. En attendant donc la troisième partie. L’histoire n’est pas finie.

Alexis.

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