Le temps de vivre

C’est d’abord un livre paru en 1965 écrit par André Remacle journaliste et écrivain communiste marseillais. L’histoire se déroule à Martigues qui est alors pleine expansion industrielle. Le pétrole et la bagnole règnent. Louis est ouvrier dans le bâtiment. Il travaille sans relâche et fait des heures supplémentaires à n’en plus finir. La fatigue le gagne, la télé pour seul dérivatif, sa femme, ses enfants, leurs études tout cela n’est qu’une sorte de mirage halluciné autour de lui. Un peu comme pour le héros de La classe ouvrière va au paradis, Louis se réfugie dans le travail. Sa femme s’éloigne peu à peu de lui et fréquente l’instituteur de son fils. La production capte l’ensemble de ses désirs et il en devient presque fou.

Le livre n’est pas écrit dans un style inoubliable. Pour ceux qui connaissent Martigues, on y retrouve les lieux tels qu’ils étaient il y a 50 ans. Mais l’intérêt de ce roman réside surtout dans cette critique du productivisme – plutôt hétérodoxe pour un auteur communiste. On discerne bien aussi cette séparation artificielle entre la culture et le travail ; l’opposition néfaste entre l’aspiration à la justice d’une part et le désir de liberté d’autre part. La femme de Louis est tentée par une aventure avec un intellectuel qui symbolise à la fois la liberté et la culture. Louis se tue à la tâche pour payer le confort de sa famille – aspiration à la justice ouvrière – mais ce faisant il s’aliène, s’enferme, perd sa liberté, sa curiosité, son désir.

On retrouve là nombre d’aspirations qui éclateront pendant les événements de mai et juin 1968. Ce livre a été adapté au cinéma par Bernard Paul. Or le tournage s’est déroulé à Martigues durant les grèves de 1968. Beaucoup de choses contenues dans le récit du livre explosent enfin dans tout le pays : les cadences infernales, la séparation entre intellectuels et manuels, l’aliénation par le travail, la consommation, la télévision, la bagnole etc.

Georges Moustaki compose la musique du film, c’est le Temps de vivre, chanson emblématique qui connut un immense succès, beaucoup plus que le livre et le film en tout cas. Esthétiquement, il est clair que cette chanson dépasse largement le livre. L’amour et la révolution ont toujours été des thèmatiques aux sources historiques de la chanson. Celle-ci épouse les deux.

« Viens, écoute ces mots qui vibrent sur les murs du mois de mai. Ils nous disent la certitude que tout peut changer un jour ».

Mai 68 a été un échec. Et l’appel de ce livre, de ce film et de cette chanson sonne toujours plus vrai. Car tout s’est encore accéléré depuis. Rivés à nos comptes Facebook exposant narcissiquement nos vies, attachés à nos Iphone, nos tablettes, derrière nos écrans plats,  scrutant nos messageries… Courant après le temps dans les transports, le travail, la vie de famille. Avec cette pénible sensation d’être toujours débordés.

Il semble que la vérité du Temps de vivre est dans ce constat : une grande partie du pouvoir réside dans le temps, le rythme et la vitesse. Celui ou celle qui va vite impose son pouvoir et sa violence. Entre une caresse et une gifle, n’est-ce pas au fond qu’une question de vitesse ? (1) Une révolution juste et libre ne pourrait que laisser à chacun la possibilité d’user de son temps comme il le souhaite et à son rythme.

(1) Sur le plan philosophique, ces questions sont abordées dans les livres d’Hartmut Rosa.

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