Grand Marché Transatlantique : le capitalisme déchaîné

Sur les ruines du Mur de Berlin, le 22 novembre 1990, les USA et les 12 États de la Communauté Européenne signent la « Déclaration transatlantique » qui formalise leur triple coopération économique, militaire et institutionnelle sous le signe du capitalisme, de l’OTAN et de la technocratie. En 1995, naît l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dont la mission est la libéralisation mondiale du commerce des biens et des services. Libéralisation assortie de la création de l’Organe de Règlement des Différends (ORD) qui en fait une organisation internationale extrêmement puissante : l’OMC est ainsi dotée d’un pouvoir de sanction pour non respect de ses règles. De 1995 à 2013, la collaboration transatlantique s’intensifie sans que les peuples n’aient leur mot à dire. Le 13 février 2013, l’Union Européenne (UE) et les USA s’engagent à entamer les négociations du « Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement » (PTCI). Un document rédigé en anglais, daté du 17 juin 2013 et dont la diffusion est interdite établit le mandat de l’UE pour les négociations qui commencent le 8 juillet. Qui mandate les négociateurs européens ? Le capital, pardi ! De janvier 2012 à avril 2013, la Commission Européenne a tenu 119 réunions avec les lobbys du monde des affaires afin de préparer le document.

Que dit ce mandat ? L’accord négocié devra aller « au-delà des engagements actuels de l’OMC », c’est-à-dire encore plus loin que la libéralisation totale au profit du secteur privé. Il s’appliquera à tous les niveaux de gouvernement y compris locaux. L’objectif est de lever tous les « obstacles inutiles » au commerce et à l’ouverture des marchés. Dans la novlangue de l’OMC, il faut comprendre que les droits sociaux, sanitaires ou environnementaux entravent le business et que l’alignement se fera par le bas. C’est bien sûr au nom de la croissance, de l’emploi, du développement durable, de la diversité, de la « propriété intellectuelle » et de la démocratie que cette croisade du capital est lancée. L’accord de libre-échange soumettra tous les secteurs à une concurrence exacerbée : la santé, la sécurité sociale, l’énergie, les transports, la culture, l’éducation… L’agriculture sera exposée à la levée de normes sanitaires (au hasard sur les OGM) et à une intensification du productivisme par la suppression des droits de douanes avec les USA. (1) Le mandat insiste dans son « ambition » sur les secteurs de l’automobile, de la chimie, des produits pharmaceutiques et « autres industries de la santé », de l’information, de la communication, des services financiers. Seuls les pouvoirs régaliens : armée, police, magistrature sont épargnés… Faut bien que l’État puisse continuer à protéger les riches.

Mais n’est-on pas toujours mieux servi que par soi-même ? Au cœur de ces négociations resurgit un dispositif rejeté en 1998 au moment de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Les articles 23, 32 et 45 du mandat indiquent la volonté de mettre en place un mécanisme de « règlement des différends ». Celui-ci permettra aux firmes privées d’attaquer directement les différents niveaux de pouvoirs publics sur la base d’un droit et d’une procédure seulement guidés par la loi arbitraire du marché. Une entreprise américaine pourra attaquer un peuple ou une commune d’Europe qui auraient décidé de telle règle (sociale, environnementale etc.) si elle juge que cela nuit à ses intérêts. Par exemple, si une multinationale étasunienne trouve insupportable de ne pas pouvoir exploiter de gaz de schiste en France, il se pourrait bien qu’elle obtienne gain de cause. C’est en somme l’institutionnalisation par le droit international du recul des conquêtes et garanties concédées par les États face au capital. Un mécanisme similaire existe déjà dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entre le Canada, les USA et le Mexique. En 20 ans, le Canada a été attaqué 30 fois par des entreprises Yankees, il a perdu 30 fois. Par contre, aucune des 22 plaintes déposées contre les USA par des firmes Canadiennes ou Mexicaines n’ont abouti.

Les élections européennes sont l’occasion pour le Front de Gauche de mener une campagne sur le sujet. (2) Si le vote ne réglera pas la question de la domination des marchés et des instances supranationales européennes, ce grand marché transatlantique n’en est pas moins une provocation. Les instances technocratiques européennes ou le gouvernement américain défendent encore et toujours les intérêts du capital. On peut supposer que ce sera le plus puissant des instruments de domination, en l’occurrence les USA, qui tirera son épingle du jeu. L’État Américain est maître dans l’art de défendre les intérêts de ses multinationales en les protégeant et en intervenant quand c’est nécessaire. Dans tous les cas ce seront les peuples qui perdront sauf si une contestation à la base permet d’instaurer un rapport de force. Nous ne voulons pas d’un monde régit par la concurrence dans lequel les États ou Supra-États ne sont pas autre chose que ce qu’ils n’ont cessé d’être sauf quand la secousse révolutionnaire les ébranlait les obligeant à des concessions : une arme au service des chefs et des riches.

(1) Les règles concernant les appellations d’origine contrôlée seraient visées dans le cadre d’une harmonisation entre les deux zones. Le paragraphe 35 du mandat mentionne en particulier le cas de la production viticole.
(2) Le texte du mandat a été traduit et commenté par Raoul-Marc Jennar membre du Parti de Gauche  : Le Grand Marché Transatlantique, la menace sur les peuples d’Europe, Cap Bear Éditions, 2014.

Groupe Orwell de Martigues.